Antonov An-225 Mriya 
Au cœur de la course technologique et spatiale des années 1980, l’Union soviétique, via son bureau d’études Antonov implanté en République socialiste soviétique d’Ukraine, se lance dans un défi colossal. La mise au point de la navette spatiale Bourane, rivale directe de la navette américaine, soulève un problème logistique inédit : comment transporter cette gigantesque navette, à la fois volumineuse et lourde, entre le site de production à Kouïbychev (aujourd’hui Samara) et le cosmodrome isolé de Baïkonour ?
Les contraintes ferroviaires rigides du réseau soviétique rendent le transport par rail impossible, avec un gabarit maximal de 4,5 mètres largement insuffisant. D’autres solutions, telles que le transport fluvial puis ferroviaire, ou encore le levage par l’énorme hélicoptère Mi-26, sont rapidement jugées impraticables ou trop risquées.
La solution retenue, inspirée de la NASA, est aérienne : le transport à dos d’avion, comme le célèbre Boeing 747 modifié pour la navette américaine. Or, à l’époque, aucun avion soviétique n’offre les capacités nécessaires. Les géants Antonov An-22 et Tupolev Tu-95 sont trop petits ou aérodynamiquement inadaptés pour porter un tel fardeau sur le fuselage. Un compromis est trouvé avec le Miassichtchev VM-T, un bombardier modifié, mais limité à 50 tonnes de charge utile, imposant de transporter une navette partiellement démontée.
Face à ces limites, Antonov propose un avion surpuissant, basé sur son An-124 Ruslan mais amplifié, doté de six moteurs et d’un double empennage destiné à dégager la dérive des turbulences créées par la charge portée sur le dos : l’Antonov An-225 Mriya, signifiant en ukrainien « rêve » ou « aspiration ».
Conception et caractéristiques techniques
L’An-225 est un véritable monstre d’ingénierie. Avec ses 84 mètres de longueur et une envergure de 88,4 mètres, il est le plus long et le plus lourd avion volant au monde, avec une masse maximale au décollage de 640 tonnes. Sa soute peut contenir une charge volumineuse de 43,32 mètres de long, 6,4 mètres de large et 4,4 mètres de haut, soit plus de 1200 mètres cubes. Sa charge utile maximale atteint 250 tonnes, un record absolu pour un avion.
Le train d’atterrissage, réparti sur 32 roues, supporte cette masse colossale. Le nez de l’appareil s’ouvre pour faciliter le chargement frontal, assisté par un pont roulant interne capable de déplacer des objets de 30 tonnes. Les ailes, souples, peuvent fléchir jusqu’à 6 mètres, amortissant les contraintes aérodynamiques.
Propulsé par six moteurs Progress D-18T, l’avion peut voler sur une distance allant de 4000 à 14500 km selon la charge, une autonomie exceptionnelle pour un engin de cette taille. Maniable malgré son envergure, l’An-225 a démontré en 1989 au salon du Bourget sa capacité à réaliser des virages à 45 degrés avec la navette Bourane solidement fixée sur son fuselage dorsal.
Premiers vols et records
L’An-225 décolle pour la première fois de Kiev le 21 décembre 1988. Dès mars 1989, il établit 106 records mondiaux, notamment en masse au décollage (508 tonnes), charge utile (156 tonnes), et altitude avec charge (12 340 mètres). Quelques semaines plus tard, en mai 1989, il porte la navette Bourane pour une apparition spectaculaire au Salon du Bourget.
Malheureusement, l’ambitieux programme Bourane est stoppé net en 1993, sous les effets conjugués de la crise économique et de l’éclatement de l’URSS. Le premier et unique An-225 est alors immobilisé, ses moteurs démontés pour équiper les An-124. Le second exemplaire, assemblé à environ 70 %, ne sera jamais achevé.
Revenu au premier plan en 2001 sous la bannière Antonov Airlines, l’An-225 s’impose comme la référence mondiale du transport de charges exceptionnelles, capable de déplacer des matériels militaires, industriels ou humanitaires hors normes. Il effectue des missions records, telles que le transport d’un générateur de 187 tonnes de Francfort à Erevan en 2009, ou encore en 2020, un vol majeur d’équipements médicaux vers la France et le Canada en pleine crise Covid.
Symboliquement, l’An-225 incarne une fierté nationale ukrainienne, participant au défilé aérien annuel du 24 août. Son immatriculation UR-82060 et son code OTAN « Cossack » sont reconnus internationalement.
Destruction tragique et avenir incertain
Le 24 février 2022, au tout début de l’invasion russe de l’Ukraine, l’An-225 est immobilisé dans un hangar de l’aéroport de Hostomel, au nord de Kiev. Lors de l’assaut russe, un incendie ravage l’appareil, détruisant intégralement la partie avant, le train principal et plusieurs moteurs. Malgré les dégâts, une partie du fuselage reste intacte.
Face à cette perte symbolique, le président ukrainien Volodymyr Zelensky annonce dès mai 2022 la volonté de reconstruire le géant. Le 9 novembre 2022, le PDG d’Antonov confirme la relance du chantier, utilisant les pièces du second exemplaire jamais terminé et du premier, pour remettre en état un An-225 qui ne prendra son envol qu’après la fin du conflit.
L’Antonov An-225 Mriya n’est pas seulement un avion : c’est un exploit technique, un rêve matérialisé, un témoin unique de l’ère spatiale soviétique, un symbole de la puissance industrielle ukrainienne, et désormais un emblème de résilience nationale face à l’adversité.
Alors que le projet de reconstruction avance dans l’ombre d’une guerre meurtrière, le monde entier suit avec admiration l’histoire du plus grand avion du monde, prêt à reprendre son rôle exceptionnel dès que les cieux le permettront.
Mission photo avec l'Antonov 225
L'opportunité de prendre ces clichés plutôt inédits, je la dois entièrement à Bertrand Martineau que je ne remercierai jamais assez. Après avoir communiqué l'information quant à la visite de cette légende à Châteauroux, il m'a informé de sa volonté de louer un Robinson R44 pour faire quelques prises de vues aériennes en me proposant de le faire avec lui. Quelques semaines plus tard, le jour est venu de réaliser un rêve de gosse : être au dessus de l'Antonov 225. Après avoir briefer les vols avec le pilote, pas le temps d'attendre : premier décollage pour un vol d'une dizaine de minute pour les photos au parking. Une petit heure plus tard, autorisation du contrôleur aérien pour partir en vent arrière pendant qu'il remontait la piste. Un grand merci au pilote qui à fait preuve d'un professionnalisme et d'une maitrise totale de son hélicoptère dans les meilleures conditions malgré une météo capricieuse. Ce fût un moment inoubliable d'être en stationnaire à quelques centaines de mètres du plus gros avion jamais conçu, et de voir les centaines de personnes, passionnées ou juste curieuses, qui sont venus admirer son décollage. ​​​​​​​
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