L'histoire d'Anatolian Eagle
Anatolian Eagle est un exercice organisé par la Türk Hava Kuvvetleri (THK) sur la base Konya, la 3e base principale de fighters située en Anatolie en Turquie.
Cet exercice international implique généralement les armées des États-Unis, de l'OTAN, des pays Asiatiques et du Moyen-Orient. Avec la modernisation des armes et de la formation à partir du début des années 80, la Turkish Air Force a réalisé que « peu importe la qualité des armes, cela dépend des hommes qui les utilisent ».
Avec l'expérience acquise durant les opérations de sécurité intérieure et des guerres de Bosnie-Herzégovie/Kosovo, il a été décidé que la Turquie avait atteint un niveau de performance lui permettant d'accueillir les forces aériennes d'autres pays dans le cadre d'exercices et de leur fournir une formation. C'est alors que la THK a envoyé pour la première fois un détachement d'observateurs à Nellis pendant un Red Flag en 1983. Ils y ont participé pour la première fois en 1997 avec 6 F-16 et une soixantaine de soldats. La série des Anatolian Eagle est alors née en tant qu'une version Red Flag européenne.
Deux exercices appelés Anatolian Flag ont eu lieu en 1998 sur la base d'Incirlik, mais le premier ''vrai'' Anatolian Eagle AE-01 a été organisé par le commandement des opérations de la Tukrish Air Force du 18 au 29 juin 2001. Outre la Turquie, États-Unis et Israël y ont également participé. Depuis, tous les ans à Konya se tient deux à trois sessions Anatolian Eagle (dont un toujours réservé uniquement à la THK) sauf après la prétendue tentative de coup d’État de 2016 ou il s'est par la suite écoulé 2 ans avant qu'un nouvel exercice prenne place. Ils ont repris de 2019 à celui-ci, excepté 2020 à cause du Covid-19.
De 2001 à 2023, c'est un total de 49 ''AE'' qui ont eu lieu avec 3135 aéronefs de 16 pays différents ayant effectués 25 692 sorties en 40 650 heures. D'autres exercices similaires tel qu'Anatolian Falcon et Anatolian Phoenix ont également eu lieu en Anatolie Centrale.
Depuis ses travaux en 2008, la base de Konya (3. Ana Jet Üs Komutanlığı) est parfaitement dessinée pour accueillir des exercices de cette ampleur : outre le petit terminal civil, l'escadron d'hélicoptères Cougar, toute la partie Boeing 737-700 AEW&C MESA ''E7T'' et les F5 Freedom Fighter A/B 2000, la base peut accueillir une cinquantaine de chasseurs sans compter tous les F-16C/D des escadrons Turques 113, 132, 151, 152, 161, 181 et 191 Filo déjà présents sur base pour la plupart. Pas moins de trois bâtiments sont alloués aux forces bleues (participants) et un quatrième aux forces rouges (adversaires). La base offre également logement, salle de briefing, mess et hangars de maintenance. Des E-3A Awacs de l'OTAN sont également déployés en permanence sur la Forward Operating Base de Konya depuis 1983.
Les objectifs et missions de l'exercice
Les exercices Anatolian Eagle simulent un environnement de guerre complet et réaliste avec un niveau de difficulté qui augmente de jours en jours, avec des menaces diverses et variées. L'exercice est briefer dans le bâtiment du « White Headquarters » suivi d'une formation surveillée par des ordinateurs pour aider à tester les connaissances, les capacités et à détecter les lacunes des participants. Les avions sont équipés de pods ACMI (Air Combat Maneuvering Instrumentation) permettant aux AirBoss de suivre chacune des missions en temps réel depuis l'AETC (Air Education and Training Command) et de réaliser ensuite des debriefings détaillés pour chacuns des pilotes.
Le scénario est le suivant : La « Blue Team » attaque les cibles définies stratégiques de la « Red Land » lors d'Opérations Aériennes Combinées (COMAO). La Red Land est constituée des ''Aggressors'', rôle généralement joué par les pilotes du 132 Filo simulant des appareils ennemis de type soviétiques tel que des SU-27 ou des MIG-29. Les contrôleurs de défense aérienne (GCI) et les systèmes de missiles sol-air (SAM) font également parti de cette force rouge. Des études statistiques sont également réalisées au White Headquarters. Au cours de l'exercice, l'emplacement, la position et les informations en vol des aéronefs participants sont transférés à un centre de contrôle de commandement (CCC) via un système d'instrumentation de manœuvre de combat aérien (ACMI). Les traces radar et les tirs de missiles des systèmes SAM, des avions AWACS, des radars terrestres et d'autres systèmes anti-aériens sont également transférés au CCC.
Les briefings avant vol et les débriefings après vol ont lieu au CCC où se trouve une salle de briefing d'une capacité de 450 personnes. Les sorties pendant l'exercice AE sont contrôlées et commandées au centre d'opérations MASE (Multi Aegis Site Emulator). L’espace aérien d’Anatolian Eagle est de 200 nm d’est en ouest et de 150 nm du nord au sud. L'espace aérien principal des opérations, également connu sous le nom de ''Salt Area'', peut être utilisé du sol jusqu'à 50 000 pieds. Au cours de l'exercice, des avions AWACS apportent un appui aux Forces bleues et un radar terrestre apporte un soutien GCI aux Forces rouges. Les ravitailleurs en vol de type KC-135 Turkish Air Force (non-basés à Konya) ravitaillent les avions des deux forces. Les systèmes SA-6, SA-8, SA-11, ZSU 23-4 et Hawk situés dans les champs de tir de Tersakan, Koc et Karapmar sont utilisés pour simuler des tirs réalistes de missiles sol-air contre les forces bleues.
Les journée se déroulent globalement toutes au même rythme : une Combined Air Operation (COMAO) ''EAGLE 1'' le matin et une Non-COMAO baptisée « EAGLE 2 » l’après-midi. Les COMAO permettent de mettre en application toute la diversité des missions conventionnelles : supériorité aérienne (CAP - Combat Air Patrol, OCA - Offensive Counter-Air), attaque au sol (CAS - Close Air Support, SEAD - Suppression of Enemy Air Defenses), recherche et sauvetage au combat (CSAR - Combat Search and Rescue), reconnaissance (RECCE), guerre electronic (EWT), strike maritime (ASUW - Anti-SUrface Warfare) mais également protection (HVAA - High Value Air Asset offensive/defensive). À chacun de ces raids aériens, ce sont près d’une quarantaine de chasseurs ''Blue'' qui affrontent une quinzaine de "Red" joués par les F-16C et D Turques. Les Non-COMAO de l'après-midi dépendent quant à elles majoritairement des besoins de chaques nations : elles permettent de mettre l’accent sur certains types de missions bien précises afin de répondre aux besoins d’entraînement spécifique à certaines nations en fonction des statistiques fournies par l'Headquarter, cet exercice ayant avant tout un but pédagogique.
Petit focus sur les aéronefs présents lors de l'AE23-2 :
Plus d'une quarantaine de F-16C/D, quatre F-4E, ainsi qu'un E-7T en guise d'AWACS et un KC-135R en guise de ravitailleur. Des drones Anka-S et Akinci étaient également en support mais opéraient tout comme le Stratotanker, directement depuis leurs bases respective.
Concernant les étrangers, l'Armée De l'Air Pakistanaise était au rendez-vous pour la douzième fois de son histoire avec cette fois des F-16C/D Block 52+ du 5 Sqn "Falcons", basés à Shahbaz Air Base à la place des traditionnels JF-17 envoyés sur cette exercice. L’Armée de l’Air Qatari envoya quant à elle cinq de ses nouveaux EF-2000 Typhoon du 7 Sqn en provenance de la nouvelle base de Tamim. Autre force aérienne majeure dans la région, les Émirats Arabes Unis participaient également à cette édition avec cinq F-16E/F block 60 "Desert Falcon" d'Al-Dhafra considérés comme les plus avancés actuellement en service.
Pour la troisième année consécutive, l'Armée De l'Air Azerbaïdjanaise envoya également deux Su-25 Frogfoot en provenance de leur base de Kudamir après avoir envoyé du MIG-29 il y a deux ans. Un troisième était également envoyé en guise de banc de test au coté des F-16 Turques pour tester les nouvelles bombes planantes guidées KGK-83 dans le cadre du rétrofitage des leurs Frogfoot.
La Royal Air Force était présente mais opérait directement depuis d'Akrotiri sur l'île de Chypre avec quatre Eurofighters Typhoon venus à Konya pour la journée presse. L'Arabie Saoudite quant à elle s'est vu annuler leur venue initialement prévue avec quatre F-15SA précédemment déployés en Grèce pour l'exercice Iniochos. L'exercice prenant de plus en plus d'ampleur, des nations telles que le Maroc, la Géorgie mais encore la Lybie étaient présentes en tant qu'observateurs.
L'interopérabilité est cruciale dans les opérations multinationales. Anatolian Eagle 2023 à mis l'accent sur la coordination et la communication entre les différentes forces aériennes, facilitant ainsi leur capacité à travailler ensemble dans des missions conjointes. Les défis de l'exercice ont aidé les participants à mieux comprendre les procédures et les normes opérationnelles de chaque pays, renforçant ainsi l'efficacité des opérations interarmées et multinationales.
Le savoir faire Turque
Ces trois jours sur base furent bien au delà de nos attentes, je n'avais jamais vu une tel organisation. Le premier jour (média day) était probablement le meilleur : en plus de pouvoir se rapprocher au plus près de la piste, un accès au avions pendant les mise en route nous a été permis sans compter l'exposition statique de fin de journée. Le colonel Emra Akbay que l'on a eu l'honneur d'entendre pour la présentation de l'exercice a été à l'écoute de nos demandes toute la journée, permettant des prises de vues très rarement voir jamais réalisables. Même le repas au Mess était bon ... c'est pour dire à quel point la Turkish Air Force à mis la barre haute !
Les deux jours suivants furent tout aussi intéressants mais avec un peu moins d'accès dû au nombre plus important de personnes sur base. Pour couronner le tout vous pourrez voir sur quelques clichés à quel point les pilotes jouaient le jeu, que ça soit au roulage, au décollage ou au retour de mission ! En plus de l'intérêt historique et tactique de cet exercice, l'organisation sans faille de l'armée Turque ne donne qu'une envie : y retourner !
Merci à la Turkish Air Force et tout particulièrement au colonel Emra Akbay pour son écoute et sa disponibilité