
Les commémorations du DDAY 81
Un an après avoir embarqué à bord d’un C-130 de l’US Air Force aux côtés de parachutistes belges pour marquer le 80e anniversaire du Débarquement, j’ai eu l’opportunité de renouveler l’expérience en ce 81e anniversaire du D-DAY. Cette nouvelle édition des commémorations, plus discrète que celle de 2024, n’en reste pas moins porteuse de sens : dans le ciel de Normandie, là où tout a commencé le 6 juin 1944, l’héritage aérien allié continue de s’écrire. Le 5 juin 2025, j’ai eu l’honneur de participer à un vol à bord d’un C-130J-30 Super Hercules de l’US Air Force dans le cadre de ces commémorations. Entre tradition militaire et mémoire vivante, ce vol incarne le lien direct entre les vétérans d’hier et les forces armées d’aujourd’hui.
Après quelques semaines d'organisation, nous partons pour 4h de route depuis Paris la veille au voir, le rendez-vous étant fixé au terminal de Cherbourg à 7h le lendemain matin. Nous sommes conduits vers la dizaine de C130 stationnés à Maupertus ... dans lequel allons nous embarquer ? Le temps est venu pour le briefing de sécurité avec les ''loadmasters'' du jour. Ils assurent non seulement le bon équilibrage du matériel et des passagers, mais veillent aussi à la sécurité de toutes les opérations de chargement et de largage. Leur expertise est indispensable lors des parachutages tactiques, où précision et réactivité sont vitales pour le succès des missions. Véritables chefs d’orchestre dans la soute, ils coordonnent aussi les mouvements des troupes et supervisent les procédures d’urgence, garantissant ainsi la fluidité et la sécurité à chaque étape du vol. Sur notre vol, ils étaient majoritairement en charge de la prise en charge des médias et de l'ouverture/fermeture de la soute pour nous permettre de réaliser des prises de vues des autres C130 de notre formation.
Après quelques échanges avec les pilotes, nous avons compris que la mission du jour consistait en un vol à une altitude comprise entre 300 et 800 pieds de 3 heures en formation avec 3 autres avions : deux autres C130J USAF, et un C130H néerlandais. Plusieurs passages étaient prévus sur différentes plages pour des commémorations à des heures bien précises, l'occasion pour les pilotes de perfectionner non seulement leurs techniques de vols en formation à basse altitude, mais également leur timing. Entre chaque passages, c'était ''free flight'' : les 4 C130 passaient d'une formation en losange à une formation en colonne et suivaient le leader jusqu'au Mont Saint Michel.



Vol à bord d’un C-130J de l’US Air Force : immersion dans les préparatifs et le décollage
Notre appareil du jour était immatriculé 16-5856 et appartenait au 39th Airlift Squadron. Basé à Dyess, au cœur du Texas, le 317th Airlift Wing exploite l’une des plus grandes flottes mondiales de C-130J Super Hercules, avec 28 appareils répartis principalement entre le 39th et le 40th Airlift Squadrons. Depuis 2010, la base a modernisé sa flotte, remplaçant les anciens C-130H par des modèles plus performants, plus rapides et plus économes en carburant. Ces avions sont au centre d’opérations variées : transport de troupes, parachutages tactiques, acheminement de matériel, mais aussi missions humanitaires à travers le monde. En 2013, Dyess a marqué les esprits en réalisant un exercice record avec 20 C-130J en formation simultanée, suivi en 2020 par la plus grande formation jamais vue, réunissant 33 appareils lors de l’exercice « Herk Nation Stampede ». Dyess innove aussi en formation et maintenance, avec un simulateur de vol ultra-moderne Vital-10 dès 2014, et un laboratoire de réalité virtuelle pour former les techniciens, réduisant ainsi les risques d’erreur sur le terrain. La capacité d’endurance de ces appareils est remarquable : en avril 2024, un C-130J du 40th Squadron a réalisé une mission de 26 heures sans escale grâce à ses réservoirs externes, témoignant de la flexibilité et de la puissance de cette flotte emblématique.
Depuis 2023, les C-130J Super Hercules de l’US Air Force, notamment ceux stationnés à Dyess, arborent un nouveau schéma de peinture « low visibility ». Ce camouflage se distingue par ses teintes grises discrètes qui réduisent la visibilité de l’appareil, notamment lors des missions tactiques en milieu hostile ou de nuit. Les marquages traditionnels sont également atténués, renforçant la furtivité visuelle des avions. Cette évolution s’inscrit dans une volonté d’aligner les C-130J sur les standards de discrétion déjà appliqués aux chasseurs furtifs comme le F-22 ou le F-35. Au-delà de l’aspect esthétique, ce camouflage vise à améliorer la sécurité des équipages en rendant les avions moins repérables, tout en facilitant l’intégration visuelle dans la flotte moderne de l’USAF.
Il est 7h30 : après un briefing de sécurité et la distribution de sacs à vomi qui se seront révélés bien utiles, nous avons pu faire un tour de la machine pour réaliser quelques clichés au sol. Sur le tarmac de Cherbourg-Maupertus, peu après l’heure bleue et dans l’air frais du Cotentin, 4 C-130 Hercules sortent de leur silence. APU en route, alimentation des bus électriques, tests des circuits hydrauliques et commandes primaires. Pendant que les loadmasters verrouillent le cargo et ajustent les sangles, le cockpit déroule sa Before Start-Up checklist. Mise en route séquentielle des quatre moteurs, EGT, et pression d’huile. S'en suivent les tests des inverseurs de poussée, des commandes secondaires, systèmes de dégivrage, et finalisation du crew brief... pendant que sur les aires voisines, deux autres C-130J terminent leur séquence automatisée. Derrière eux, un C-130H du 336 Squadron néerlandais lance ses turbines. Le vol sera multinational et synchronisé.
Le tarmac vibre sous le grondement des quatre moteurs Rolls-Royce AE2100D3 du C-130J Super Hercules, chacun délivrant ses 4 637 shp. Derniers checks dans le cockpit, radios tactiques actives, IFF mode 3A en stand-by. Brief rapide du flight lead : départ en formation losange serrée, cap sud-est. Une demi heure plus tard, les 4 avions s’alignent sur la piste 28 pour un départ cadencé. Rotation, positive climb, gear up, stabilisation à 300ft puis virage à 120 degrés par la gauche. Premier objectif : mission d’infiltration tactique en très basse altitude au-dessus de Courseulles-Sur-Mer. Profil : 300 pieds AGL, 250 noeuds, vol en formation, navigation terrain-visual.






Dans le ciel de Normandie : vol en formation à bord d’un C-130J de l’US Air Force
Nous sommes positionnés à l'arrière droit du leader, avec 2 C-130J USAF sur notre gauche et un C-130H néerlandais arrière gauche. À bord, calme professionnel, l’ambiance est feutrée, presque solennelle. La campagne normande s’ouvre sous nos ailes dans une météo brumeuse. La formation se resserre en losange au-dessus des plages de la côte nord de Caen : Arromanches-les-Bains, Colleville-sur-Mer, Omaha Beach. Nous glissons au ras du littoral, l’avion parfaitement est stable, le pilotage est millimétré. Vu du sol, les quatre Hercules offrent un spectacle à couper le souffle. Nous pouvons apercevoir le ciel, puis la mer, plus le ciel dans les rares hublots de notre aéronef. Cloués au siège par les 3 ou 4g encaissés toutes les minutes avec les virages bien engagés de nos pilotes, certains commencent déjà à sentir que le sac à vomi sera utile pour les 2h45 de vol restantes...
Une fois les passages commémoratifs effectués, cap au sud ouest : transition en formation colonne, un classique pour le vol en croisière tactique. Nous passons en 2ᵉ position, suivis du 3ᵉ Super Hercules américain et du Hercules néerlandais en fermeture. La radio reste discrète, seuls les reports de position et altitudes passent sur la fréquence UHF tactique. Direction Granville, puis cap au sud vers le Mont-Saint-Michel. Altitude : 500 pieds, vitesse 200 noeuds.
Peu après la verticale de Granville, une loadmaster vient me chercher : “You’re up!” Elle me tend un harnais de sécurité. L’instant est irréel. Quelques instants plus tard, la rampe arrière est abaissée en plein vol, et me voilà assis sur le seuil, flanqué des deux loadmasters, sanglé, les pieds à quelques centimètres du vide. À l’arrière, la soute tangue dans l’air frais (qui n'était vraiment pas de refus à ce moment la) de Normandie. Devant mes yeux, un spectacle aérien : deux quadrimoteurs nous suivent, saccadant le ciel de leur présence massive. Encore un peu loins et timides, ils dansent derrière nous avec quelques secondes de décalage sur nos virages engagés avec un mix de mer, de falaises, de villages côtiers et de campagne en arrière plan. Après un tour par la droite puis par la gauche du célèbre Mont-Saint-Michel, il est temps de prendre la route retour vers vers Cherbourg. Aucun mot ne circule, juste les gestes clairs des loadmasters pour la sécurité. Quelques minutes avant de refermer la soute, voilà que nos acolytes se rapprochent de nous à une distance idéale pour les photos. Le moment est magique : c'est une démonstration d'agilité que nous proposent les pilotes des deux machines enchaînants virages et rejointes.
Des étoiles pleins les yeux, la rampe se referme à 10h : retour en configuration commémorations. Je passe à l’avant, invité dans le cockpit spacieux du C-130J. Là-haut, les deux pilotes affichent une concentration sereine malgré les quelques alarmes ''too low, terrain'' ; ''conflit, conflict'' et ''bank angle, bank angle'' dues aux basses altitudes, aux virages engagés et la proximité avec les autres machines. FMC à jour, terrain radar actif, communications continues avec les autres éléments, nous reprenons le cap vers les objectifs suivants : les villages emblématiques du Cotentin, pour une dernière salve de survols. Orglandes, Sainte-Mère-Église, puis toute une série de passages tactiques au-dessus de la région. L’altitude varie toujours entre 300 et 800 pieds sol, avec des virages très engagés. L’appareil se penche brutalement, presque sur la tranche par moments, sans jamais perdre de stabilité. L’écran du HUD projette les données de vol sur la visière des pilotes, qui maîtrisent chaque degré d’inclinaison avec une précision chirurgicale. Difficile d’imaginer que ce colosse fait plus de 40 tonnes et 40 mètres d’envergure ...
11h30, dernier passage. Direction finale : Cherbourg. Arrivée au break par le sud de l'aéroport à 11h45, suivi d'un circuit main droite pour se présenter en finale piste 28. Atterrissage doux et maîtrisé, freinage assisté puis demi-tour chacun notre tour pour remonter la piste. Première gauche sur le taxiway menant aux aires de stationnement : 180 tactique avec guidage arrière du loadmaster pour rentrer sur le parking, puis shutdown progressif des moteurs. Le bruit de l'APU remplace celui des 4 turbopropulseurs, et la rampe s’ouvre. Après quelques échanges sur le vol avec les loadmasters, quelques patchs nous sont distribués en souvenir. Le vol aura duré quasiment 3h30, dont 1h de passages sur les plages du débarquement, 30 minutes de free flight rampe ouverte, et une autre heure et demie de passages sur les villages iconiques du D-DAY.
Peu auront échappé à l'utilisation du sac blanc dans l'enveloppe orange nommée ''motion sickness bag'', militaires compris, mais ce vol restera gravé dans ma mémoire à jamais, tant pour son coté photographique, que pour l'experience de voler à quelques centaines de pieds au dessus des plages du débarquement à bord du successeur des Dakotas, les pieds au bord du vide.






Un grand merci à l'USAF, et particulièrement aux lieutenants Cozad-Staley et David Lee de l'USAFE pour avoir rendu ce vol possible, ainsi qu’à l’ensemble de l’équipage pour leur professionnalisme et leur pour leur accueil chaleureux, mais également pour l'opportunité inoubliable de s'assoir à coté d'eux sur la rampe de leur C130 !