Adieux aux armes du Sukhoi Su-22 Polonais
Le 10 septembre 2025 sous un beau ciel bleu, trois silhouettes familières rugissent une dernière fois au-dessus de Poméranie. À bord, les pilotes savent qu’ils écrivent la dernière page d’une histoire commencée il y a plus de 40 ans. Les Sukhoi Su-22 de la Siły Powietrzne tirent leur révérence. Entrés en service au milieu des années 1980, les Su-22M4 et Su-22UM3K (version d'entrainement du M4) ont constitué l’épine dorsale des capacités d’attaque au sol polonaises. Hérités de l’époque du Pacte de Varsovie, ils ont survécu à la chute du Mur, à l’adhésion à l’OTAN et à plusieurs vagues de modernisation.
Dans les ateliers de WZL-2, on prolongeait leur vie par une maintenance inventive : avioniques revus, compatibilité minimale OTAN assurée, pods modernisés. Mais malgré tout, le temps a fait son œuvre : pénurie de pièces, normes incompatibles, coût croissant d’un avion venu d’un autre monde. Le retrait était devenu inévitable.
L'histoire du Fitter
La famille Su-22 est la version export de la série soviétique Sukhoi Su‑17 à ailes à géométrie variable. En Pologne, les premières Su-20 furent introduites en 1974, suivies dans les années 1980 par les Su-22M4 (monoplace) et Su-22UM3K (biplace). La version M4 disposait du moteur Lyulka AL-21F-3, capable de pousser à Mach 1,7 environ, avec une capacité d’emport de l’ordre de 4 000 kg sur dix points d’ancrage.
Grâce à ses ailes à géométrie variable, l’appareil offrait de bonnes performances en basse altitude, ce qui correspondait à la doctrine tactique polonaise de l’époque — disperser l’aviation, opérer depuis des terrains semi-préparés proches de la frontière ouest durant la Guerre froide.
Durant l’ère du Pacte de Varsovie, le Su-22 polonais couvrait essentiellement trois types de missions : appui aérien rapproché (CAS), frappe tactique d’interdiction de champ de bataille et bombardement de cibles fixes ou mobiles. Les tactiques impliquaient souvent du vol très basse altitude (parfois à 200 m) pour surprendre et frapper les colonnes ou lignes de ravitaillement adverses, avec une navigation largement visuelle et un appui radar limité. Après la fin de la Guerre froide, l’avion a trouvé une seconde vie : plateforme d’entraînement d'armes, d’agressor ou de soutien aux exercices de l’Armée de Terre polonaise.
Dans les années 2010, la flotte de SU22 polonais était devenue obsolète sur le plan avionique mais restait attractive en termes de coût d’exploitation. Une petite modernisation fut lancée vers 2015 : 18 appareils furent mis à jour avec radio compatible OTAN, navigation GPS et nouvelle livrée gris-clair. Au final la dépendance aux pièces d’origine russe, la baisse de disponibilité, l’augmentation des coûts de maintenance et surtout le virage stratégique vers les plates-formes occidentales scellèrent le sort du Fitter, confirmé par le chef d'état major polonais en mars 2025.
Cérémonie du 10 Septembre sur la dernière base de SU22 en Pologne
Mirosławiec a accueilli la cérémonie officielle de retrait : trois Su-22UM3K biplaces ont ouvert le bal avec un vol d'adieu à leurs anciennes bases : Powidz, Piła et Świdwin avant de revenir se poser sous les applaudissements des 200 photographes et journalistes présents.
Sur le tarmac, plusieurs Su-22M4 étaient exposés en configuration opérationnelle : paniers de roquettes, bombes lisses, pods de brouillage et la fameuse nacelle KKR-1, utilisée pour la reconnaissance photo et l’écoute électronique. Pour les mécaniciens, ce fut un dernier geste de fierté : présenter « leur » avion dans sa configuration la plus complète, telle qu’il aurait pu partir en mission.
L'après midi, nous avons eu le droit à un "solo display" improvisé d'un Fitter, ainsi qu'au départ et retour des deux autres qui avaient déjà volé le matin.
Le commandant de la 21e Tactical Air Base à Świdwin déclara :
« Il apprend l’humilité, parce qu’il est difficile à piloter. Il n’a pas d’ordinateur, donc la navigation et bien d’autres tâches reviennent au pilote. Mais c’est ce qui le rend si gratifiant — on ressent vraiment l’appareil. »
Le général & pilote Maciej Trelka ajouta :
« La majeure partie de ma vie professionnelle est liée à cet appareil. C’est lui qui m’a emmené en Norvège, Finlande, Allemagne, Royaume-Uni, Italie, Hongrie. Avec cet avion, j’ai rejoint l’OTAN. Cela me touche, car il m’a apporté beaucoup de joie, même s’il n’était pas facile. »
« Il apprend l’humilité, parce qu’il est difficile à piloter. Il n’a pas d’ordinateur, donc la navigation et bien d’autres tâches reviennent au pilote. Mais c’est ce qui le rend si gratifiant — on ressent vraiment l’appareil. »
Le général & pilote Maciej Trelka ajouta :
« La majeure partie de ma vie professionnelle est liée à cet appareil. C’est lui qui m’a emmené en Norvège, Finlande, Allemagne, Royaume-Uni, Italie, Hongrie. Avec cet avion, j’ai rejoint l’OTAN. Cela me touche, car il m’a apporté beaucoup de joie, même s’il n’était pas facile. »
Lors de la cérémonie, un Su-22M4 en configuration reconnaissance a effectué un vol d'environ 1h30 — manière discrète mais claire de rappeler que ces machines, malgré leur âge, restaient opérationnelles et utiles. Véritable condensé de la guerre froide, le pod KKR-1 était conçu pour combiner capteurs photographiques et modules ELINT, il permettait à l’avion d’effectuer des reconnaissances tactiques ou des collectes de signaux, le tout avec un rayon d’action supérieur à la plupart des chasseurs-bombardiers contemporains.
Succession annoncée : le FA-50 prend le relais
Le départ du Fitter ouvre la voie au KAI FA-50, version polonaise de l’appareil sud-coréen déjà livré à plusieurs escadrons. Plus léger, plus moderne, interopérable OTAN, le FA-50 n’a toutefois ni la charge utile ni l’endurance du Su-22. La Pologne fait donc un choix doctrinal : passer d’une plateforme d’attaque brute à un vecteur d’appui intégré, connecté, et compatible avec les futurs F-35A déjà en dotation. Les pilotes, eux, parlent d’une transition « nécessaire mais émotionnellement difficile ». Beaucoup avaient fait toute leur carrière sur le Fitter.
Un contexte tendu
Ce retrait intervient dans un climat sécuritaire crispé. Les incursions de drones russes dans l’espace aérien polonais, les tensions sur la frontière orientale et la guerre en Ukraine ont donné à cette cérémonie une résonance particulière.
Le message officiel est clair : la Pologne tourne la page de l’armement soviétique. Mais l’arrière-plan tactique, lui, reste plus nuancé. Dans les coulisses, certains reconnaissent qu’un appareil robuste, capable d’emporter des pods spécifiques et de décoller depuis des pistes secondaires, ne se remplace pas si facilement.
Poznań : le dernier mystère
Quelques jours après la cérémonie, une dizaine de Su-22 ont quitté Miroslawiec pour Poznań.. Certains portaient encore leurs marquages opérationnels, d’autres des configurations atypiques, avec notamment des pods KKR-1. Officiellement, ces vols relèvent de transferts logistiques ou de mouvements vers des musées. Officieusement… disons que vu le contexte régional, la ligne entre retrait symbolique et réserve active est parfois fine. Les Fitter auraient quitté l’inventaire ... mais pas forcément la scène. Dans le ciel de l'est de l'Europe, il n’est pas exclu qu’un grondement familier se fasse encore entendre : celui d’un avion rustique, loyal, et toujours prêt à servir.
Un grand merci à la Siły Powietrzne Rzeczypospolitej Polskiej pour cette journée organisée dans un contexte particulier avec notamment une incursion de drones russes à la frontière est la veille.