Antonov An-22 « Антей »
L’Antonov An-22, désigné par l’OTAN sous le nom de code « Cock », demeure encore aujourd’hui l’un des plus imposants quadrimoteurs turbopropulseurs jamais construits. Conçu dans le contexte tendu de la Guerre froide, il fut pensé pour répondre aux besoins militaires et civils d’une Union soviétique aux vastes étendues, où la capacité à acheminer rapidement du matériel lourd — chars, missiles, troupes — vers des zones éloignées ou difficiles d’accès, était cruciale.
Dans les années 1950, l’aviation militaire soviétique disposait déjà de l’An-12, un avion cargo robuste, mais limité à une charge utile d’environ 16 tonnes. Or, les besoins logistiques de l’Armée rouge s’élargissaient : transporter un char T-54 (36 tonnes) à travers le territoire immense de l’URSS posait un vrai défi.
Dès 1958, l’OKB-473 d’Oleg Antonov reçut la mission de concevoir un avion nettement plus gros, capable de charger des unités d’assaut, des blindés et du matériel stratégique. Le projet initial An-20 évolua rapidement, bénéficiant des avancées dans les turbopropulseurs Kuznetsov NK-12, les plus puissants de leur temps (15 000 ch, hélices quadripales contrarotatives).
En 1960, face à une demande croissante d’Aeroflot pour le développement industriel de la Sibérie et de l’Extrême-Orient soviétique, les besoins militaires et civils furent fusionnés. L’An-22 naquit officiellement par décision du Soviet suprême.
Conception et innovations techniques
L’An-22 est un avion monoplane à aile haute, dotée d’un fort dièdre négatif sur les panneaux externes, offrant une hypersustentation nécessaire pour un décollage et un atterrissage sur pistes sommairement aménagées.
Motorisation : 4 turbopropulseurs Kuznetsov NK-12MA, moteurs les plus puissants du monde à hélice, couplés à des hélices quadripales contrarotatives, fournissant une poussée exceptionnelle pour un avion de 250 tonnes au décollage.
Fuselage : Une soute non pressurisée de 4 m de large, 4,4 m de haut et 33,4 m de long, suffisamment grande pour accueillir chars T-54, missiles lourds et autres matériels volumineux. L’avant dispose d’une section pressurisée pouvant transporter 29 passagers, ce qui facilite la projection rapide de troupes.
Train d’atterrissage : Un train principal à 14 roues par côté, à pression variable en vol via télégonflage, permettant de se poser sur des terrains très variés, un point clé pour les opérations tactiques dans des régions peu équipées.
Défense : Initialement équipé de deux canons de 23 mm à l’arrière pour la défense, avec une protection radar active ajoutée plus tard.
Performance : Décollage en seulement 1 400 m, ce qui est remarquable compte tenu de son poids. Une autonomie opérationnelle de plusieurs milliers de kilomètres (plus de 3 500 km avec 50 tonnes) le rend idéal pour le transport stratégique.
Premiers vols et démonstrations
Le prototype effectua son premier vol le 27 février 1965 depuis Kiev, avec à son bord un équipage conduit par Yu. Kurlin. Son arrivée au Salon du Bourget la même année provoqua une surprise et une admiration unanime : c’était alors le plus gros avion au monde, avant l’apparition du Lockheed C-5 Galaxy en 1968.
La production démarra à Tachkent, avec une série d’environ 66 appareils construits entre 1966 et 1976. La version modernisée An-22A apparut en 1972, avec des améliorations dans l’électronique et la défense.
Militaire : L’An-22 fut l’ossature du transport lourd de l’aviation soviétique, capable d’acheminer des unités aéroportées jusqu’à 150 hommes, des unités terrestres entières (jusqu’à 295 soldats), ainsi que des chars et des missiles balistiques. Deux régiments, le 8 VTAP à Migalovo et le 81 VTAP à Ivanovo, en Ukraine, en furent les principaux opérateurs.
Civile (Aeroflot) : Utilisé pour ouvrir des lignes dans les régions isolées de Sibérie et de l’Extrême-Orient, il fut aussi mobilisé en opérations d’aide humanitaire, notamment en 1970 au Pérou, après un séisme. Sa stature civile permettait d’obtenir plus facilement les droits de survol et d’atterrissage dans certains pays.
Malgré sa robustesse, son grand gabarit et ses besoins spécifiques limitaient son utilisation sur pistes très courtes ou improvisées. La montée en puissance de l’Iliouchine Il-76 et surtout de l’Antonov An-124, plus modernes, réduisit progressivement son rôle.
Héritage et situation actuelle
L’An-22 fut officiellement retiré du service en Russie en 2000. Certains exemplaires restent néanmoins encore en état de vol, notamment à Tver, mais leur potentiel opérationnel est en déclin. La guerre en Ukraine a malheureusement causé la destruction d’un exemplaire majeur sur l’aérodrome de Gostomel.
Le « Cock » reste cependant un jalon essentiel dans l’histoire du transport aérien militaire soviétique, témoignant d’une époque où la puissance et la capacité de projection stratégique passaient aussi par la maîtrise du transport aérien lourd.

Un grand merci à l'Aéroport de Paris Vatry sans qui ces photos au plus près de cette légende de l'aviation n'auraient pas été possibles !
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